“ON SHOW”: PODCAST DE L’EXPOSITION VERSAILLES ET LE MONDE
Dans ce nouvel épisode de notre podcast, nous visitons l’exposition “Versailles & le monde” en compagnie des commissaires de l’exposition Hélène Delalex et Bertrand Rondot.
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Transcription de l’épisode
Marine Botton (MB) : Bonjour et bienvenue, vous écoutez On show, la série podcast du Louvre Abu Dhabi qui accompagne votre visite.
Dans ce nouvel épisode, on vous emmène au cœur de la monarchie française des 17ème et 18ème siècles. Non seulement est-ce une demeure royale, un site patrimonial qui attire des millions de visiteurs par an ou encore un palais qui a inspiré le film de Sofia Coppola, Marie-Antoinette. C’est aussi un lieu d’émerveillement et d’échanges, et ce depuis sa création au 17ème siècle. Vous l’aurez deviné, aujourd’hui on vous emmène au Château de Versailles.
Je m’appelle Marine Botton, Chargée de Médiation au Louvre Abou Dhabi. Et avec les commissaires de l’exposition Versailles & le monde, nous allons découvrir comment le château de Versailles était une porte ouverte sur le monde qui accueillait des visiteurs internationaux tels que des ambassadeurs, des scientifiques, des artistes, des marchands, et même le peuple. Nous verrons aussi comment, à l’époque, le château a joué un rôle prédominant pour placer la monarchie française au-devant de la scène diplomatique, scientifique et artistique.
Pour cette visite exceptionnelle, j’ai le plaisir d’avoir avec moi Hélène Delalex et Bertrand Rondot, commissaires de l’exposition.
Hélène Delalex, Bertrand Rondot, merci beaucoup d’être avec nous ici aujourd’hui. C’est un réel plaisir de visiter cette nouvelle exposition Versailles & le monde en votre compagnie. Hélène, vous êtes conservatrice du patrimoine, et Bertrand, conservateur en chef du patrimoine, tous deux au Département du Mobilier et des Objets d’art, au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Vous êtes donc tous les deux chez vous à Versailles... Mais afin de planter le décor, en quelques mots, comment décririez-vous le Château de Versailles à quelqu’un qui ne l’a jamais visité ?
Bertrand Rondot (BR) : Le Château de Versailles est un énorme bâtiment, c’est l’un des plus grands palais au monde, je dirais. Non seulement cela, mais c’est un endroit formidable, avec une architecture et des jardins superbes. Il a toujours fasciné le public. Et pas seulement les Français. Il y a une bonne raison à cela : selon la volonté de Louis XIV, Versailles était un lieu public, Et donc depuis sa construction, il a toujours été ouvert à tous, peu importe la richesse ou le statut social. C’est aussi cela qui fait la particularité de Versailles en Europe et dans le monde.
MB : C’est formidable. Et quelle période couvre-t-on dans l’exposition ?
Hélène Delalex (HD) : C’est une exposition d’œuvres d’art du milieu du 17ème siècle, du début de règne de Louis XIV, à l’aube de la Révolution française, à la fin du 18ème.
MB : L’exposition s’appelle Versailles & le monde. Précisons un peu le contexte, pouvez-vous nous dire quelle était la place du Royaume de France dans le monde à cette époque ?
HD : A cette époque, aux 17ème-18ème siècles, et pendant les règnes de Louis XIV et Louis XV, l’influence de la France est sans égal. Non seulement la France était la première puissance militaire en Europe, mais elle donnait le « la » dans les arts, la littérature, l’art de vivre dit à la française, prenez les arts décoratifs, par exemple, ou encore la mode.
MB : Nous sommes dans la toute première salle de l’exposition. C’est une salle assez marquante. Que vouliez-vous exprimer avec une telle d’introduction ?
HD : Quand les visiteurs entrent dans cette exposition, ils découvrent ce film, et cette salle qui est décorée de nombreux miroirs. Ceci rappelle la Galerie des Glaces bien connue du public et le film joue avec les reflets des miroirs. Ce film est également important car il est fait pour les visiteurs qui ne connaissent pas Versailles ; c’est une visite privée du château et des divers espaces du domaine. Le but est en même temps de partager avec les visiteurs d’aujourd’hui la fascination que devait susciter Versailles chez les visiteurs au 18ème siècle, alors qu’ils découvraient le palais pour la première fois. C’est un pont entre le passé et le présent, pour voir que rien n’a changé et que l’émotion devant ces magnifiques images demeure intacte.
MB : Avant de découvrir les œuvres de l’exposition en elles-mêmes, pouvez-vous nous dire comment l’exposition est structurée ?
HD : L’exposition est composée de trois grandes parties. La première c’est le monde qui vient à Versailles, avec l’histoire des ambassades. La seconde partie de l’exposition aborde les échanges commerciaux et artistiques entre Versailles et l’Orient, et en particulier les produits de luxe. Et dans un mouvement contraire, la troisième partie de l’exposition montre Versailles à la découverte du monde.
(Musique)
MB : En entrant dans le premier chapitre de l’exposition, nous découvrons une salle aux murs peints d’un rouge sombre et profond, avec des détails de moulures, qui lui donne un aspect très raffiné. Bertrand, que vouliez-vous dire par cette scénographie d’exposition ?
BR : Nous voulions que la scénographie de cette salle nous fasse ressentir la grandeur de Versailles. Nous n’avons pas exactement reproduit des éléments de décor de Versailles, mais les couleurs, ce rouge profond et riche et ces moulures donnent une idée de la splendeur de l’espace, même si c’est bien moins vibrant que l’aurait été Versailles. On voulait que les visiteurs ressentent cette grandeur et que les œuvres présentées ici, les grands portraits et les vues de Versailles, bénéficient de la meilleure toile de fond possible.
MB : Notre attention est tout de suite happée par cette grande toile juste en face de l’entrée. C’est une vue du Palais de Versailles des jardins. Allons voir cela de plus près.
BR : C’est donc le château vu des jardins, du sud, nous voyons l’Orangerie au premier plan. Et vous voyez cette façade magnifique du palais de plus de 600 mètres de long. Vous remarquerez sur le côté gauche, sur les marches du grand escalier, trois visiteurs portant des turbans. A la taille et la forme de leurs turbans, ils viennent sans doute du Moyen Orient, des Perses probablement. Ils sont avec un Français, sans doute un courtisan qui leur sert de guide pendant leur séjour à Versailles pour visiter le palais, le domaine, les jardins… Qui sont-ils ? Nous ne le savons pas, mais on voyait souvent des étrangers en habits traditionnels dans les galeries et les jardins du château.
MB : Qui visitait le château ou les jardins de Versailles à cette époque ?
BR : Il ne faut pas oublier que Versailles était un lieu public, ouvert à tous. Et c’est véritablement unique en Europe et dans le monde. Pensez à la Cité Interdite à Beijing, personne ne pouvait voir l’Empereur, et personne ne pouvait voir le palais à moins d’être invité. Alors qu’à Versailles c’était complètement différent : Versailles était ouvert tous les jours à tous les visiteurs, peu importe la richesse ou le statut social. Donc tout le monde pouvait entrer dans le palais et visiter les appartements, les galeries et les jardins. Ça n’existait nulle part ailleurs, comme je le disais, et donc cela faisait de Versailles un lieu qui attirait beaucoup de visiteurs, non seulement d’Europe mais de contrées plus lointaines. Et c’est pour ça qu’il n’était pas rare de voir des étrangers ici à Versailles.
MB : Est-ce que cela veut dire que tout le monde pouvait voir le Roi ou la Reine ?
BR : Oui, la règle était que le palais était un lieu public. On pouvait y voir non seulement la structure, la beauté de l’architecture, les collections, les meubles mais aussi le Roi. Il était l’incarnation du pouvoir, et en tant que tel, la règle en France voulait que le roi soit visible, non pas accessible, mais visible de tous ses sujets et de tout le monde. Et donc contrairement à d’autres cours, quand on rencontrait le Roi ou la Reine, vous n’étiez pas obligés de faire la révérence. Vous pouviez donc le regarder, regarder son visage et vous souvenir de ses traits. Et c’est très important. Je le répète, c’est pourquoi les visiteurs et les touristes aimaient tant Versailles, parce qu’on pouvait y voir le roi lui-même, et voir à quoi il ressemblait.
MB : Tournons maintenant vers la droite et découvrons cette œuvre assez incroyable.
HD : Oui, c’est une impressionnante maquette du Grand escalier qui mène aux appartements du Roi, à la salle du Trône puis à la galerie des Glaces. On l’a rapidement appelé l’escalier des Ambassadeurs car il était réservé aux grandes processions des ambassades du monde entier. Vous voyez au premier étage, les peintures représentant les « Nations des quatre Parties du Monde », peintes par Charles Le Brun. Et juste à côté de cette maquette, vous avez les esquisses de ces peintures. Cela vous donne une idée de ce qui attendait les ambassadeurs quand ils montaient les escaliers, accueillis par les plus prestigieuses nations du monde.
MB : De nos jours, on a une assez bonne idée de la manière dont on reçoit les chefs d’État et les ambassadeurs. Quelle était l’étiquette, à quoi ressemblaient les cérémonies pour les ambassadeurs à cette époque ?
BR : Il y avait deux étiquettes. Une pour les ambassadeurs qui séjournaient à Paris dans leur propre ambassade. Ils étaient accueillis plus simplement, le protocole étant qu’ils étaient reçus en audience dans la Chambre du Roi. En effet, puisqu’en Europe les parties se connaissaient, ni le roi ni les ambassadeurs n’avaient besoin de s’impressionner mutuellement. En revanche, pour les ambassadeurs venant de pays non européens, qui n’avaient pas d’ambassade à Paris, l’étiquette, le protocole, étaient bien plus grandioses. Ils étaient faits pour faire honneur et impressionner l’ambassadeur, dont l’impression serait rapportée aux souverains de ces contrées lointaines. Et ces ambassadeurs étaient généralement accueillis dans la salle du Trône, plus rarement dans la galerie des Glaces. Et pour y accéder, ils devaient gravir le Grand escalier, principalement réservé pour ces somptueuses cérémonies.
MB : Y a-t-il eu des faux-pas dans l’histoire de ce protocole ?
BR : Plutôt que des faux pas, on a connaissance d’adaptations apportées au protocole, selon les demandes et les habitudes de l’autre partie. Par exemple, l’ambassadeur de Perse en 1715 demande que les étendards de Perse soient portés pendant toute la cérémonie, et les processions à son arrivée à Versailles. Ceci ne se faisait pas d’habitude, mais Louis XIV accepte pour faire honneur au Shah de Perse. Vous voyez, pour toutes ces visites, toutes les négociations entre les parties sont faites pour assurer une visite aussi somptueuse et fructueuse que possible et que chacun puisse honorer ses propres traditions.
MB : Avant de rencontrer certains de ces ambassadeurs, je voudrais continuer par la gauche et découvrir un autre chef-d’œuvre de cette exposition.
(Musique)
Nous sommes maintenant devant un ensemble d’estampes qui représentent des scènes d’un événement très spécial qui a eu lieu à la Cour de Louis XIV. Pouvez-vous nous en parler ?
HD : Ici, vous avez cette œuvre d’art exceptionnelle : des planches peintes et rehaussées d’or et d’argent appartenant à la collection personnelle de Louis XIV. Voici l’histoire : Louis XIV organise un Grand Carrousel en 1662 en l’honneur de la naissance de son fils, le Grand Dauphin : le plus éblouissant divertissement équestre de l’Ancien Régime qu’on puisse imaginer. Cette œuvre est très intéressante à plusieurs titres. D’une part, en France, avant cet événement, le Carrousel était un spectacle complet, avec des feux d’artifice, des présentations de bêtes exotiques, des processions. Mais Louis XIV décide de s’inspirer de la tradition cavalière arabe. Et dans cette tradition, le cheval tenait une place sublimée et poétique. Louis XIV décide donc de ne conserver que la partie équestre du Carrousel, et ces planches nous montrent le luxe absolu des harnais des chevaux. D’autre part, ce qui est très important pour nous, c’est le thème de ce Grand Carrousel. En effet, ce sont les cinq nations les plus illustres du monde. Comme vous le voyez, une couleur, une pierre et un astre symbolisent chaque nation : le rouge et le diamant pour l’Empire Romain, le rose et le rubis pour les Perses, le bleu et la turquoise pour les Turcs, les perles pour les Indiens et enfin le vert et l’émeraude pour le quadrille des Américains, dont l’aspect très étrange rappelle que le continent était encore peu connu à cette époque.
MB : Merci beaucoup. Allons découvrir maintenant la troisième salle de ce chapitre.
(Musique)
MB : En entrant dans cette dernière salle du premier chapitre de l’exposition, une formidable collection de portraits nous accueille. Bertrand, pouvez-vous nous dire qui sont ces personnes ?
BR : Ce sont de grands portraits d’ambassadeurs ou d’importants visiteurs qui sont venus à Versailles entre le 17ème et le 18ème siècle. Il y a par exemple un homme chinois qui est venu en 1684. Nous avons un ambassadeur turc venu en 1642. Et non moins impressionnant, voici le jeune prince d’Annam, l’actuel Vietnam, qui est venu en 1787.
MB : Pouvez- vous nous en dire plus ?
BR : C’est le portrait d’un jeune garçon qui n’a même pas 8 ans quand il vient à Versailles. Son père, l’Empereur de Cochinchine, ou Annam, a été renversé par une révolution et il vient demander de l’aide à l’armée française pour remonter sur le trône. En gage de bonne foi, il envoie son jeune fils, son premier fils, avec son précepteur – un évêque français – pour demander l’aide de la Cour de France. Après un très long voyage. Ils finissent par atteindre Versailles. Et le prince Phúc-Cảnh devint très vite très apprécié, parce qu’il est très jeune, parce que cette visite était inattendue, et pour son allure. Il porte un étrange turban avec un grand nœud sur le front. Et immédiatement, la mode de porter le turban à la Cochinchine va rapidement être adoptée par les femmes de la Cour.
MB : Et toutes ces peintures, ces portraits, connaissons-nous leurs commanditaires ?
BR : La plupart de ces peintures sont des commandes de l’administration royale pour garder une trace de ces prestigieux visiteurs, et de leurs costumes, leur allure. Mais le portrait de Phúc-Cảnh est une commande de la mission à laquelle appartenait l’évêque. C’est une histoire légèrement différente mais dans tous les cas, le but était de garder une trace de ce jeune prince vietnamien.
MB : Découvrons maintenant le prochain chapitre de l’exposition qui traite de l’exotisme à Versailles.
(Musique)
MB : Dans ce chapitre, le sujet change, et avec le sujet, les couleurs de l’exposition. Elle devient bleue, bleu roi, peut-être. Que signifie cette palette de couleurs ?
HD : Ce beau bleu, très profond, va parfaitement avec cette partie de l’exposition où différents arts décoratifs sont exposés. Il souligne merveilleusement bien l’or et l’argent qu’on y présente.
MB : On est passé d’une partie avec surtout des peintures, à une partie de l’exposition principalement dédiée aux objets précieux.
HD : Il s’agit ici des échanges de produits de luxe tels que la porcelaine, le parfum, les bijoux, les diamants, les perles et même le café et le chocolat.
MB : Avant de passer à la prochaine œuvre, est-ce que Versailles était considéré comme un lieu exotique ? Quelles traces d’exotisme pouvait-on y trouver à l’époque ?
BR : Non, Versailles n’était pas un palais exotique, il se devait être un palais français exprimant l’art français. C’était un acte politique, et dans les galeries, il y a des influences, quelques éléments, mais c’est surtout le style français qui s’impose. Mais dans les appartements privés, dans les salles où la famille royale conservait ses collections, il y avait un fort sens de l’exotisme. Et nous avons ici quelques exemples de ces objets merveilleusement exotiques que la famille royale collectionnait.
(Musique)
MB : Regardons maintenant ce candélabre spectaculaire à notre droite. Hélène, qu’a-t-il d’extraordinaire ?
HD : Ce sont deux formidables chefs-d’œuvre que nous avons ici. Le candélabre aux autruches et le chenet « au chameau couché » proviennent des cabinets turcs des résidences royales. Le premier de celui du Comte d’Artois, le frère de Louis XVI, et l’autre du cabinet turc de Marie-Antoinette. Ce sont des chefs-d’œuvre de l’art décoratif qui montrent l’extrême richesse de ces cabinets, avec leurs murs décorés de motifs turcs et les meubles inspirés des mêmes motifs. C’est le talent de sculpteur des meilleurs bronziers de la couronne qui a permis ce rendu très réaliste des animaux. C’est la frénésie généralisée pour les Turqueries aux 17ème et 18ème siècles, et surtout dans la haute-société, qui est à l’origine de ces cabinets turcs des résidences royales. Ils transmettent une image fantasmée de l’Orient, et ces animaux donnent une sensation d’exotisme, d’un ailleurs qui fascinait la haute société. Il faut aussi se rappeler que ces animaux étaient présents à Versailles, dans la Ménagerie, dans les jardins.
MB : Après les influences turques, on passe aux influences chinoises, avec une installation exceptionnelle que l’on peut voir de l’autre côté de la salle.
(Musique)
MB : Bertrand, pouvez-vous nous décrire ce cabinet ?
BR : Je crois que c’est l’une des plus fascinantes parties de l’exposition, car non seulement on y trouve des peintures exceptionnelles aux murs, mais elles sont aussi incrustées dans une reproduction du décor de boiseries, telles qu’elles existaient à Versailles. Ce cabinet n’existe plus à Versailles, pas depuis le 18ème siècle. Mais nous avons conservé les dessins des maquettes des boiseries tracés par les architectes et nous les avons agrandis, recréés à taille réelle afin d’insérer les vraies peintures du Cabinet chinois de Marie Leszczynska, l’épouse du roi Louis XV. La reine était elle-même peintre et voulait décorer son cabinet de ses propres peintures. Une équipe de peintres professionnels l’a aidée, mais il y a ici même des traces de la main de la reine. Et c’est très important car ce n’est pas simplement un fantasme de la Chine, de l’art, de l’architecture ou de la mode de Chine ; au contraire, ces quatre peintures racontent l’histoire du thé. Dans une des peintures, on y voit les ballots de thé ramenés des champs une fois que les feuilles ont été cueillies. Dans une autre, vous voyez les femmes flétrir les feuilles dans leurs mains. Une troisième peinture montre un officier de la plantation avec un représentant de l’administration. Et dans la dernière peinture, les hommes ferment les caisses pour exporter ce thé, si précieux, vers l’Europe. C’est en fait l’histoire entière de la production de thé que la reine raconte elle-même dans son cabinet privé de Versailles.
MB : On a tendance à oublier que certains produits de notre quotidien proviennent de très loin et étaient très précieux à cette époque. Découvrons maintenant le troisième et dernier chapitre de l’exposition.
(Musique)
HD : Sous le règne de Louis XIV, le pouvoir prend conscience de l’importance stratégique d’avoir une vraie politique scientifique. En 1666, Louis XIV crée donc l’Académie Royale des Sciences et il rassemble les scientifiques européens les plus reconnus. Cette académie se lance dans des recherches en botanique, zoologie, géographie et astronomie qui changent le monde. Les visiteurs doivent comprendre que Louis XIV, en plus de sa gloire militaire et artistique, veut être le souverain le plus moderne de son temps. Et à l’époque, moderne veut dire avoir conscience, connaissance et une ouverture sur le monde.
MB : Ce chapitre s’intitule « Entre la terre et le ciel. Découvrir le monde ». De quels types de découvertes s’agit-il ?
HD : Il s’agit de découvertes en botanique, astronomie et zoologie. C’était une période formidable pour la recherche, avec une forte relation entre les scientifiques et le pouvoir.
MB : En entrant dans la salle, on découvre un changement dans la scénographie d’exposition et dans la palette de couleurs avec ce vert clair. Et face à nous, on découvre cette grande peinture d’un ananas. Mais ce n’est pas n’importe quel ananas, c’est le premier ananas.
HD : Oui, il s’agit du premier ananas du Potager du Roi à Versailles. Il est important que les visiteurs découvrent une autre image de Versailles et comprennent qu’à cette époque Versailles devient un microcosme où le monde entier se retrouve et étudie toutes les plantes et les animaux du monde dans le palais lui-même. Et l’ananas est la star à cette époque. En effet, avoir un ananas dans les jardins royaux est une formidable innovation : c’est un défi de taille que de faire pousser ce fruit tellement sensible au froid et à l’humidité. C’est grâce à la construction de serres modernes que, après plusieurs tentatives infructueuses, les deux premiers ananas de Versailles sont récoltés 1733. Louis XV mange son premier ananas à Noël de la même année. C’est absolument excellent, dit-il. Et les gens sont devenus fous d’ananas, une véritable « ananamania », parce que vous voyez, c’est un fruit étrange. On l’appelait aussi le « roi des fruits » à cause de sa parfaite forme ovale rappelant un visage, sa couleur dorée, et de ses feuilles au-dessus de sa tête qui ressemblent à une couronne. L’ananas a grandement influencé les arts décoratifs. Ce tableau, par Jean-Baptiste Oudry, le fameux peintre du roi, est un véritable portrait de ce premier ananas. Et Marie-Antoinette aimait tellement ce tableau qu’elle l’a accroché dans son Grand Cabinet intérieur ; le plus précieux de ses appartements privés.
MB : Et ce tableau est accroché, sur le mur extérieur d’un pavillon, situé au centre de la salle d’exposition. Allons découvrir l’intérieur.
HD : Une des parties les plus réussies de cette exposition en termes de scénographie est cette évocation du salon central de la Ménagerie de Versailles, aujourd’hui disparue.
MB : Une ménagerie c’est un zoo, n’est-ce pas ?
HD : Oui, on le considère comme le premier zoo au monde. Pourquoi ? Parce que s’il n’était pas rare d’avoir des animaux exotiques dans les résidences royales, au Portugal ou à Vienne par exemple, c’était la première fois que ces animaux étaient vus non comme de simples curiosités, mais comme des êtres vivants à étudier. La classification établie à l’époque distingue sept types d’animaux. Et quand ces animaux mourraient, ils étaient disséqués par des anatomistes, ce qui a beaucoup contribué au progrès de l’anatomie comparative.
MB : Et si je ne me trompe pas, certains animaux de la Ménagerie sont devenus célèbres...
HD : Oui, le rhinocéros, par exemple, ainsi que l’éléphant femelle du Congo, offert par le Roi du Portugal. Et cette dernière a été l’objet d’une dissection. A l’époque, les dissections d’animaux sont des spectacles qui ont lieu dans le grand amphithéâtre, dans le jardin du château de Versailles. Les archives racontent qu’un jour Louis XIV arrive dans l’amphithéâtre, il demande où est l’anatomiste, et alors Duvernay sort du flanc de l’éléphant. Toute la cour est médusée par l’événement. C’est la dissection la plus fameuse, mais beaucoup d’autres animaux sont devenus célèbres à travers l’Europe.
MB : En sortant du pavillon de la Ménagerie, on tourne à gauche et on arrive à d’impressionnants instruments scientifiques.
(Musique)
MB : Si on suit le mur sur notre droite, nous trouvons deux instruments scientifiques de très grande taille. La partie supérieure est constituée d’une feuille métallique octogonale gravées de nombreuses indications. A quoi ces instruments servaient-ils ?
HD : Ces deux chefs-d’œuvre présentés sont de très riches instruments scientifiques créés par l’Académie Royale des Sciences, fondée par Louis XIV en 1666. Le premier montre le mouvement des planètes selon le système copernicien, et le second le fonctionnement des éclipses solaires et lunaires. Le tout sans aide de tables ou de calculs. C’était donc une révolution pour les astronomes que d’avoir de tels instruments.
MB : Et de part et d’autre de la vitrine, on trouve des manuscrits et des dessins.
BR : Oui, c’est une partie importante sur Versailles allant vers le monde. En effet, nous savons qu’à la seconde moitié du 17ème siècle, surtout en Chine, on demande aux astronomes européens, et en particulier aux Français, de participer au développement l’astronomie dans les pays orientaux. Ce sont donc des prêtres jésuites, brillants astronomes et mathématiciens, qui sont à la tête de l’observatoire de Beijing.
MB : Qui sont les Jésuites ?
BR : Les Jésuites sont un ordre religieux de prêtres de l’église catholique qui sont très ouverts sur le monde et s’intéressent beaucoup, non seulement au développement de la foi catholique, mais aussi à comprendre les autres cultures, les autres peuples et qui essayent d’adapter la foi et les sciences européennes à d’autres communautés et nations. C’est pour cela qu’ils ont autant de succès en Chine. En chemin vers la Chine, comme ils voyagent à bord du bateau de l’ambassadeur français à Siam, l’actuelle Thaïlande, ils restent plusieurs mois. Là-bas, ils font des observations avec le Roi de Siam, Phra Narai et y deviennent très connus. Phra Narai leur construit un observatoire à Lopburi, la capitale d’été du royaume. Nous avons ici un superbe dessin montrant l’observatoire des astronomes jésuites.
MB : Tournons-nous maintenant vers l’une des dernières œuvres de notre visite, en nous éloignant des vitrines dédiées aux instruments scientifiques et observatoires. Nous sommes face à une grande toile représentant trois hommes dans un espace intérieur…
HD : La bibliothèque du Roi.
MB : …qui regardent attentivement une immense carte.
(Musique)
HD : C’est une peinture de l’expédition de La Pérouse, l’expédition scientifique la plus importante du 18ème siècle, qui est restée un mythe assez mystérieux. Vous voyez, nous sommes dans les appartements de Louis XVI à Versailles, voici le Roi avec son Secrétaire d’État à la Marine, le marquis de Castries. Le Roi accueille le comte de La Pérouse alors qu’il se prépare à partir pour son expédition autour du monde. Le Roi lui donne les instructions sur l’itinéraire, les endroits à repérer et de Castries, ici, le ministre, tient dans sa main le mémorandum avec toutes les instructions que La Pérouse doit suivre.
MB : Rappelons qu’à l’époque les frontières sont floues. Le monde est encore à explorer, du point de vue français, par exemple. Juste à côté de cette vitrine, il y en a une autre avec une carte assez fascinante montrant, entre autres, la péninsule Arabique.
BR : Oui, cette carte est très intéressante parce que c’est la carte la plus précise du milieu du 18ème siècle. Elle est imprimée en 1752 grâce aux expéditions, aux études faites par les astronomes français en Extrême Orient. Ils ont pu donner des détails beaucoup plus précis des côtes et calculer les distances entre différents endroits dans le monde, notamment grâce à de nouveaux instruments tels que l’horloge astronomique de Berthoud, que vous pouvez voir dans la vitrine suivante. C’est un document très précis et nous voyons la péninsule Arabique, avec son désert encore vide, mais la côte et les noms des villes connues y sont. Si vous regardez la partie de la carte qui décrit l’Inde, vous verrez qu’il y a un endroit qu’il reste à explorer, et le géographe a sagement écrit « pays inconnu ».
MB : Après l’exploration de la terre, je voudrais conclure avec l’exploration du ciel grâce à deux estampes très intéressantes, juste à la sortie de l’exposition.
(Musique)
HD : Cette estampe dépeint le premier vol en ballon qui a lieu en 1783 à Versailles. Et vous voyez, nous sommes dans la grande cour de Versailles, devant une foule incroyable qui a assisté à l’événement. En 1782, les frères Joseph et Etienne Montgolfier découvrent le principe de l’aérostation ou « l’art de se déplacer dans les airs à la manière d’un nuage ». Après les premières démonstrations publiques, ils en font la démonstration au Roi. Montrer sa découverte au Roi est comme le Prix Nobel à l’époque. Nous sommes à Versailles et nous voyons la montgolfière s’élever à plus de 500 mètres du sol avant de redescendre. Et dans ce petit panier, il n’y a pas encore d’êtres humains, mais trois animaux : un coq, un canard et un mouton. Ils ont dû avoir la peur de leur vie. Le mouton, qu’on rebaptise « Monte-au-Ciel » finit ses jours dans le confort du Petit Trianon de Marie-Antoinette. Il est important de noter que ce n’est pas seulement un succès scientifique, mais aussi un succès politique. En effet, c’est la première fois qu’un pays, la France en l’occurrence, défie la gravité. C’est donc un événement très important et ça marque la naissance de la première utopie du voyage dans les airs, tel que le montre cette magnifique estampe humoristique.
MB : Celle de gauche ?
HD : Oui, celle de gauche. Cette estampe indique précisément le plan, l’itinéraire et le prix d’un voyage à bord de l’un de ces vaisseaux aérostats révolutionnaires. C’est la première utopie de tourisme dans les airs.
BR (en même temps) : Dans les airs.
MB : C’était un rêve qui ne s’était pas encore réalisé. Pourriez-vous nous dire quelques mots pour conclure cette visite ?
BR : On a conçu cette exposition comme une visite de Versailles, et l’on peut y voir son ouverture et les découvertes de ce palais. Et si ce n’est pas seulement l’apanage de Versailles, d’autres cours, d’autres pays sur d’autres continents ont bien sûr aussi fait preuve d’une grande curiosité, mais d’une certaine manière, Versailles a réuni ces différents points d’intérêts à un endroit et un moment spécifique de l’histoire mondiale. C’est pourquoi je pense que cette exposition mérite d’être découverte.
HD : Nous espérons que ces magnifiques chefs-d’œuvre de Versailles et d’autres institutions marqueront et surprendront les visiteurs, leur donneront une nouvelle image de Versailles, plus riche, plus nuancée. Et donc je pense qu’elle met en avant beaucoup de sujets et de problématiques qui sont toujours d’actualité. Il est question de changements humanistes, de relations diplomatiques, de curiosité, de collaboration. Je pense que c’est toujours d’actualité.
MB : Merci beaucoup à vous deux de nous avoir accueillis aujourd’hui. C’était un plaisir de faire cette visite avec vous.
BR / HD : Merci beaucoup.
MB : Vous pouvez visiter l’exposition Versailles & le monde au Louvre Abu Dhabi du 26 janvier au 4 juin 2022.
Cet épisode de podcast est produit par le Louvre Abu Dhabi. Nous remercions chaleureusement Hélène Delalex et Bertrand Rondot pour leur participation et l’équipe de France Muséums pour son soutien.
Préparation par Amine Kharchach et moi-même, Marine Botton.
Enregistrement, Richard Haggan.
Post-production, musique et mixage, Making Waves.
Cet épisode est aussi disponible en anglais et en arabe sur l’application mobile et le site internet du Louvre Abu Dhabi : louvreabudhabi.ae
Merci de nous avoir écoutés et à bientôt pour nos prochains épisodes.