Focus sur l'art contemporain
Voici une sélection d'artistes contemporains inclus dans l’exposition Abstraction et calligraphie - Voies d'un langage universel. La fascination pour la lettre a des racines profondes dans le monde arabe, Alice Querin, chef de projet de l’exposition, note :
« Nous devons prendre en considération de nombreux autres facteurs qui ont influencé la création artistique arabe au xxie siècle, y compris la richesse historique exceptionnelle de cette région. Comme autres causes déterminantes on compte les troubles politiques, par suite le déclin arabe amorcé dans la seconde moitié du xxe siècle et, dans les années 1990, la mondialisation qui a progressivement entraîné l’universalisation d’un vocabulaire commun passe-partout. Il n’en reste pas moins indéniable que les mouvements artistiques modernes dans le monde arabe ont apporté une contribution capitale, en modelant les expressions contemporaines des artistes. La lettre est une source d’inspiration permanente et elle peut créer des épiphanies pleines de pertinence et de force ».
Nasser Al Salem
Calligraphe avant d’être artiste plasticien, Nasser Al Salem développe une pratique protéiforme dans laquelle il explore les
potentialités plastiques de la lettre arabe en sculpture. Fils d’une famille de marchands de La Mecque, Nasser Al Salem passe son enfance près de la sainte Kaaba où il vend des tentes aux pèlerins venus pour le hadj. Dans son oeuvre, cette confrontation précoce à la foi et au rituel sacré est omniprésente. Après s’être initié à la calligraphie traditionnelle,
il étudie l’architecture à l’université Umm al Qura à La Mecque. Cofondateur en 2015 du collectif Al Hangar, membre de la Guilde
nationale des calligraphes et du Groupe des arts et de la culture
d’Arabie Saoudite, Nasser Al Salem tient une place essentielle sur la scène artistique contemporaine. « Et Nous avons décoré le ciel le plus proche de lampes [étoiles] ».
Le verset 12 de la sourate 41 du Coran a inspiré à Nasser Al Salem une oeuvre hypnotique, poétique et spirituelle. Sur un fond noir, sept versets du Coran inscrits en lettres blanches tournent autour d’un petit ornement circulaire, fixé au mur, et décoré d’un zakhrafa, un motif islamique symbole de symétrie,
d’harmonie et d’équilibre.
Comme souvent dans sa pratique artistique, Nasser Al Salem travaille à partir de constats et d’observations personnelles. Ayant remarqué que durant le tawaf — la circumambulation autour de la Kaaba —, les pèlerins en font sept fois le tour, il mène des recherches sur ce chiffre qui occupe une place centrale dans l’Islam (Al Fatiha, la sourate d’ouverture, est composée de sept vers ; sept Mu’allaqât composent la Kaaba ; les sept cieux dans
le Coran). L’oeuvre, dont les vastes dimensions intègrent le corps du spectateur, le confronte à un mouvement régulier qui se déploie indéfiniment. Renvoyant à la perfection de la Création, il place le spectateur au centre de l’ordre cosmique, l’immerge dans une réflexion sur la genèse de l’univers, de la terre et de l’existence humaine. (Marie Sarré)
eL Seed
Né à Paris de parents tunisiens, Faouzi Khlifi reste longtemps partagé entre deux cultures, incapable de s’intégrer pleinement dans une Tunisie dont il ne parle pas la langue — à peine bredouille-t-il un dialecte familial —, peu à l’aise dans une France parfois xénophobe. Adolescent, comme antidote à ce sentiment d’acculturation, il commence à graffer. Durant un séjour en Tunisie, constatant que les
street artists tunisiens ne graffent qu’en anglais et ignorent l’écriture arabe, il s’initie à la calligraphie auprès d’un maître calligraphe, change son nom en « eL Seed » et introduit des éléments de calligraphie traditionnelle au sein de ses compositions.
Depuis la fin des années 1990 jusqu’à ses travaux les plus récents (Perception, Cairo, 2019), chacune de ses oeuvres résulte d’un long travail d’appropriation du territoire et de recherches menées sur la culture et la langue du lieu concerné.
Dans l’héritage de la tradition proverbiale arabe, il convoque des citations d’écrivains, poètes, philosophes ou des passages du Coran pour transmettre des messages de paix et de réconciliation. Son travail est aujourd’hui présenté dans le monde entier dans des expositions et sur des monuments publics telle que la façade de l’Institut du monde arabe à Paris, les favelas de Rio de Janeiro, la mosquée de Gabès ou encore sur la zone démilitarisée entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. En 2016, il est le lauréat du prix UNESCO-Sharjah pour la culture arabe. (Marie Sarré)
Sanki King
Né en Arabie Saoudite, Abdullah Ahmed Khan grandit au Pakistan auprès de son père qui l’encourage très tôt à peindre et à dessiner. À la fin des années 1990, il est largement marqué par la culture hip-hop, le rap, le BMX et le beatboxing et commence à graffer dans les rues de Karachi des œuvres figuratives sous le nom de Sanki, « l’excentrique ».
Dès 2013, alors que sa pratique évolue rapidement vers des pièces plus monumentales, il rejoint le crew américain BMK (Beyond Mankind Krew) établi à New York.
En 2014, il réalise ses premiers « calligraffitis » qui intègrent des éléments de calligraphie arabe traditionnelle associés aux techniques du street art. Marqué par la tradition orale de la culture arabe, Sanki King convoque dans ses réalisations des citations, des passages de journaux intimes, des extraits littéraires ou poétiques.
Here I Am est inspiré du poème Shama de Muhammad Iqbal. Dans un passage, Iqbal évoque l'instinct humain à aspirer à sa propre réalisation en tant qu'individu : « vous êtes le chemin, le voyageur, le guide, la destination ». A partir de cette œuvre, l'artiste nous fait part de son propre chemin vers la conscience de soi. La forme circulaire renvoie au mandala qui symbolise la plénitude cosmique et individuelle.