Pionniers de l’abstraction

Munich, 1910, Le peintre russe Vassily Kandinsky réalise la première aquarelle abstraite
Le peintre abandonne la figuration sur laquelle est basée la peinture occidentale depuis sa création et cherche à élaborer un art d’intériorité. Dans l'histoire de la peinture occidentale, Vassili Kandinsky est le premier à se détacher de la réalité extérieure et à ouvrir la voie à un art abstrait qui soit l'expression d'une expérience intérieure. Cependant, l'influence directe des systèmes d'écriture égyptiens le conduit aussi à expérimenter un autre type d'abstraction. Dans cette œuvre, Kandinsky rétablit la structure en grille cohérente des hiéroglyphes, et transforme ainsi la peinture en un langage visuel. À la façon d’un échiquier, chaque signe acquiert une signification en fonction de sa position par rapport aux autres éléments du système.

Il s’inspire de la musique, notamment celle de son ami le musicien Arnold Schönberg, et se concentre sur ses émotions. Pour mieux saisir l'essence des images, Kandinsky cherche à réduire la peinture à sa composante de base : un trait sur une surface plane. Ce faisant, il met également en lumière le lien entre les images et les mots : la peinture est, par essence, une forme d'écriture.

Il est rejoint dans sa quête par le peintre suisse Paul Klee
Dans la lignée de Kandinsky, Paul Klee réduit la peinture à une relation entre lignes, plans, formes et couleurs. Après avoir séjourné en Tunisie et en Égypte, il commence à explorer par la peinture les limites de l'écriture ; autrement dit, il cherche à voir comment les lettres, une fois libérées de leur fonction première, peuvent être traitées à la façon de motifs picturaux.
Le surréalisme

Paris, 1924, Membre des Surréalistes réunis autour du peintre et poète André Breton, l’espagnol Joan Miró utilise l’abstraction pour retranscrire ses rêves
Il disperse des formes géométriques dans un espace monochrome et sans repère pour composer un univers fantastique aux allures enfantines

Hanté par la première guerre mondiale, le français André Masson réalise le premier dessin automatique en laissant sa main se déplacer au hasard sur le papier

L’écriture et le dessin se mêlent dans des compositions à l’atmosphère agitée En écho à André Breton qui appelle à un art « automatique », André Masson réalise des œuvres en projetant du sable sur des supports enduits de colle

Le surréalisme – libération de l'inconscient par une approche spontanée de la peinture – naît d'un mouvement littéraire basé sur des procédés d’écriture automatique. André Masson, premier artiste à adopter cette approche en peinture, exploite la composante graphique du langage, en combinant les mots et les images.
L’expressionisme abstrait

New York, 1943, L’américain Jackson Pollock, marqué par sa rencontre avec les Surréalistes français se lance dans la peinture gestuelle, l’action painting
Il invente la technique du dripping en faisant goutter la peinture sur ses toiles posées à même le sol dans de larges mouvements L’artiste américaine Lee Krasner utilise aussi la technique du dripping pour créer des œuvres qui semblent formées de réseaux de peinture. Certaines de ses toiles quadrillées évoquent des hiéroglyphes dont le sens se serait perdu

Chez Lee Krasner, épouse de Pollock, l'automatisme devient plus précis et plus cohérent. L’intérêt qu’elle porte aux manuscrits orientaux et à la calligraphie islamique ajoute au geste une forme particulière. Comme dans l'écriture, son approche est maîtrisée et délibérée. Ici, la matérialité de la toile est aussi présente que la peinture à l’huile qui l’embellit. On pense à une stèle égyptienne où, à côté des hiéroglyphes, la forme et la matière jouent un rôle essentiel dans l’effet produit par l’objet.
La Seconde École de Paris

Paris, 1947, Le peintre français Georges Mathieu s’insurge contre un art abstrait strictement géométrique
Il se consacre à une abstraction lyrique composée de tâches, coulées et projections de couleurs Revendiquant une esthétique de la vitesse et du risque, Georges Mathieu peint de grandes toiles en public lors de performances pouvant réunir jusqu’à 2000 personnes

Simon Hantaï, français d’origine hongroise, peint ses toiles avec des couleurs vives qu’il recouvre d’une couche foncée
La toile est grattée par endroits pour révéler la couleur Il recourt également à un système de pliage de la toile pour obtenir une répartition aléatoire et fragmentaire des couleurs sur la surface
Les Peintres Poètes

Bruxelles, 1948, Le poète et peintre belge Christian Dotremont réalise ses premiers « dessins-mots » et « peintures-mots »
L’artiste cherche à faire l’expérience de l’écriture en tant que telle, comme forme pure, aussi spontanée que possible

Il invente la notion de « logogrammes », des poèmes tracés avec vigueur à l'encre noire et au pinceau sur des feuilles de papier blanc

Vence, 1959, En recherchant une spontanéité de création praticable par tous, le français Jean Dubuffet s’intéresse aux gribouillages et aux graffitis
L’artiste recherche une expression primitive, archaïque, impulsive et totalement libre
L’art contemporain

Berlin-Est, 1964, Le peintre et sculpteur allemand A.R. Penck réalise des œuvres constituées d’une multitude de pictogrammes
Il utilise un langage archaïque qui vise à l’universel en puisant autant dans l’art rupestre que dans les graffitis ou la cybernétique

Londres, 2007, L’artiste palestinienne Mona Hatoum, sculptrice et vidéaste, investit le champ de l’abstraction à travers des dispositifs subtils composés d’objets de la vie quotidienne
Ces œuvres a priori abstraites dissimulent des messages politiques et féministes engagés